NOTE SUR LE NEO-CATECHUMENAT



 Le développement du néo-catéchuménat dans les différents continents soulève bien des interrogations dont nos lecteurs se sont fait l’écho, et suscite même des confusions. Il apparaît aujourd’hui nécessaire de préciser ce qu’il en est. En particulier, il faut insister sur le fait que le cheminement (et non pas « le chemin » , terme qui nous semble ne pouvoir désigner que le Christ) néo-catéchuménal ne saurait être confondu ni avec le catéchuménat qui s’adresse à des non baptisés, ni avec les « recommençants » qui, baptisés mais pas ou peu catéchisés, cheminent sur la voie de l’initiation chrétienne et de la vie en Eglise.

Nous avons demandé au Père Henri Bourgeois, théologien qui a longtemps animé le catéchuménat du diocèse de Lyon, de faire le point sur la question. En effet, des pasteurs et des laïcs s’inquiètent : ce mouvement semble se situer en marge des paroisses et de la communauté ecclésiale, et risquer ainsi de se replier sur lui-même et d’être source de division.

Il serait bien temps d’évaluer ce que réalise le néo-catéchuménat dans les quelques diocèses de français où il s’est implanter. Tout n’est pas aussi rose qu’il peut sembler !

Les fruits d’une nouvelle évangélisation

                Je commencerai par le reconnaître, là où des communautés néo-catéchuménales existent, leur travail d’initiation conduit certains baptisés à entrer dans une réelle conversion. Le « chemin néo-catéchuménal », fondé à Madrid en 1964 par Kiko Argüello et Carmen Hernandez, puis transféré à Rome en 1968, a eu le mérite de percevoir que les chrétiens qui étaient non seulement non pratiquants mais loin de l’Eglise et même de la foi attendaient une pastorale adaptée à ce qu’ils étaient. D’où l’idée de leur faire vivre le parcours catéchuménal quand bien même ils étaient déjà baptisés.

                En second lieu, je noterai que le néo-catéchuménat sait bien prendre en compte certains éléments des cultures actuelles. Il met l’accent sur l’expérience spirituelle ; les chants composés par Kiko en style flamenco séduisent. Enfin le « chemin » néo-catéchuménal (les membres du néo-catéchuménat n’aiment pas être qualifiés par le mot « mouvement ») est en principe dirigé par de laïcs, même s’il compte une proportion notable de prêtres qui y ont une grande influence.

  Une initiation chrétienne assez particulière

                Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’initiation chrétienne telle que la conçoit et la réalise le néo-catéchuménat a des traits assez étonnants pour qui connaît et pratique le catéchuménat proprement dit ou ce qui commence à se développer en France et même en Italie à propos des recommençants.

                Je ne pense pas tellement ici à cette discipline du secret qui conduit les personnes engagées sur le chemin néo-catéchuménal à ne pas dévoiler les détails de ce qu’elles vivent.

                Ce qui me paraît tout à fait inquiétant, c’est le ton des catéchèses (accent unilatéral mis sur le péché, dénonciation sans nuances de la société et de sa morale), l’appel à la soumission et à l’obéissance, la minimisation de la raison (l’expérience spirituelle ne la récuse pas à priori), la manière de parler des chrétiens qui ne sont pas engagés dans le chemin néo-catéchuménal (ils sont considérés en fait comme des « païens »). Une telle formation qui demande un temps considérable et de plus en plus accru dure, en principe, vingt ans.

                Franchement, quand je vois certains évêques tolérer ou encourager cette forme d’initiation, je me demande si elle leur paraît réellement adaptée à l’époque présente et si elle conduit à susciter des croyants libres et lucides. Pour moi, la réponse s’impose. Tout donne à penser qu’il y a là une réaffirmation du catholicisme, dans la ligne des « cellules paroissiales d’évangélisation », avec en prime quelques traits de type sectaire. En tout cas, la relative adaptation culturelle des méthodes du néo-catéchuménat au monde de ce temps s’avère plus apparente que réelle. Le néo-catéchuménat intègre, il n’appelle pas à un type personnalisé de foi.

 

Peut-on opter pour la mission en détruisant la communion ?

                Admettons qu’ici ou là l’initiation catéchuménale ou la réinitiation des recommençants, ou encore la catéchèse des adultes chrétiens, apparaisse fragile ou même légère. Supposons alors que le chemin néo-catéchuménal apparaisse, par comparaison, « musclé », solide, sérieux. Je crois que l’on peut discuter de tout cela : en causant avec les personnes qui sont membres des communautés (quand elles l’acceptent) et avec celles et ceux qui sont sortis de la mouvance néo-catéchuménale.

                En tout cas, le problème que pose la pastorale néo-catéchuménale n’est pas seulement celui de l’initiation. Il est aussi et parfois surtout d’ordre ecclésial. On peut en effet se demander si l’évangélisation des gens « loin » doit se payer au prix fort d’une destruction des communautés paroissiales.

                Car le sol du chemin néo-catéchuménal n’est pas le vaste monde de la vie quotidienne. Il est très précisément la paroisse. C’est un prêtre, généralement le curé, parfois un prêtre nouvellement ordonné, qui est sympathisant du néo-catéchuménat et qui implante dans la paroisse le « chemin ». Très vite la paroisse se fracture. Il y a les chrétiens vivants et les autres qui sont enfermés dans leurs routines ou leurs débats pastoraux interminables. D’ailleurs les célébrations se multiplient : les communautés ont leurs eucharisties et le tout-venant paroissial a les siennes. Le prêtre qui patronne le néo-catéchuménat laisse voir où sont ses préférences.

                Ce qui se passe ainsi, des évêques et non des moindres l’ont signalé depuis longtemps (le cardinal Martini à Milan, le cardinal Lorscheider au Brésil). Peu à peu la paroisse devient « monocolore » et les chrétiens qui ne sont pas contents vont ailleurs. Est-ce cela que veut désigner l’inoubliable Mgr Cordes, du Conseil pontifical pour les laïcs, quand il parle des « tendances absolutistes des Eglises locales » ? Je ne sais pas si elles sont forcément enfermées dans le dogmatisme pastoral. Mais elles ont le droit de vivre !

 

Impossible de se parler entre chrétiens

                Ce qui manque, en l’occurrence, c’est que les chrétiens puissent se parler. Mais le néo-catéchuménat ne s’y prête guère. Ferme dans sa structure très hiérarchisée, porté vers un certain culte du fondateur, bénéficiant du nombre, de ressources financières non négligeables et de prêtres qui figurent souvent parmi les plus jeunes, le néo-catéchuménat n’a pas grand chose à apprendre d’une équipe pastorale paroissiale ou d’un service diocésain. Il jouit d’un label pontifical et parfois épiscopal et tout se passe comme si cette reconnaissance « au sommet » était suffisante.

                La question de fond dépasse donc celle de l’initiation. Elle est ecclésiologique. On l’a vue et on le verra aux JMJ. On la perçoit également aujourd’hui dans certaines situations analogues où la paroisse est en quelque sorte « prise en otage » par un curé (français ou étranger) qui veut, du jour au lendemain, lui imposer ses propres options et sensibilités ou quand, ici ou là, se constituent des cellules d’évangélisations qui, très vite, font, elles aussi, une paroisse dans la paroisse.

 

Paru dans « Mission de l’Eglise », n° 127, avril 2000, p.76-78



Henri Bourgeois



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